Sylnodel regarde le plafond de sa chambre d'internat, inexpressive. Ce plafond, elle le connaît par cœur. Elle sait où se trouve la moindre tâche, la moindre craquelure. Finalement, ce plafond, il est un peu comme elle. Et il essaye désespéramment de tenir.

Oui, car même si la jeune wolve a déjà atteint ses 19 ans, elle vit toujours à l'internat. Elle tente d'économiser pour se payer un appart dans le centre ville, comme beaucoup d'autres, bien sûr mais.. Il y a aussi quelque chose à propos de cette chambre qu'elle ne veut pas quitter. Le souvenir de Tsume, peut-être. Pas celui où elle a explosé le miroir de la salle de bain et a pissé le sang sur les draps, ni celui où elle est rentrée complètement bourrée à 7h du matin. Mais le souvenir qu'elle avait été là, qu'elle avait vécu et rit car après toutes ses années où elles ne s'étaient pas connues, Sylnodel ne pouvait s'empêcher de penser que parfois, sa réunion avec sa sœur semblait comme un lointain rêve. Le genre qui a l'air d'être vrai mais qui en réalité ne l'est pas et dont on met un certain temps à se remettre. La vérité était que si demain on lui annonçait qu'elle n'avait jamais eu de sœur, elle ne serait peut-être même pas étonnée. Tsume avait quelque chose d'insaisissable. Sa peau était si pâle et ses yeux si vides qu'on avait parfois l'impression qu'elle était faite de fumée et que si on essayait de l'atteindre, elle nous passerait au travers, en emportant sûrement un morceau de notre cœur au passage.

La seule chose qui prouvait qu'elle avait été là étaient les fringues qui restaient pendues dans son armoire. De temps en temps, quand le souvenir de sa sœur semblait s'éloigner de trop, Sylnodel attrapait l'un de ces tee-shirts et enfouissait le nez dedans jusqu'à ce qu'elle ne puisse sentir rien d'autre que Tsume. Un mélange de cigarette mélangée à quelque chose de sucré mais aussi de doux. Fragile.

Sly soupire et se retourne pour faire face à sa table de chevet sur laquelle est posé son téléphone. Elle appuie doucement sur un bouton pour allumer l'écran et constate qu'elle a un message de Roméo.. Avec tout ce qu'il s'est passé dernièrement, elle n'a pas vraiment eu le temps de répondre et elle s'en veut énormément. Alors, pour éviter de se sentir coupable, elle l'avait mis dans un coin de sa tête et avait tenté de penser à autre chose. Mais maintenant, c'était pire et elle savait que plus elle attendrait, plus dur ce serait. De plus, Roméo avait toujours été là pour elle et elle savait pertinemment qu'il méritait mieux. Qu'elle devait être forte pour lui. Même si le voir lui rappelait toujours sa sœur..

Elle se leva péniblement, passa une main sur son visage marqué par les heures de sommeil qui lui manquaient et décida de faire le nécessaire pour être à peu près présentable. Même si cela faisait bien un moment qu'elle n'en avait pas eu l'occasion.
Elle se dirigea vers la salle de bain et s'attacha les cheveux à la hâte avec l'élastique qui ornait son poignet. Elle se débarbouilla le visage, se brossa soigneusement les dents et hésita même à se maquiller avant de décider qu'il n'y avait aucun intérêt à le faire. Peut-être seulement du correcteur, histoire d'avoir l'air d'aller bien, juste un peu. Puis, elle ôta son haut pour en enfiler un autre, blanc à manches courtes et avec un truc stupide écrit devant. Un jean taille haute et troué, peu importe, le premier qu'elle trouve. Puis elle enfile ses baskets et puis le premier gilet un peu long sur lequel elle met la main. La période où elle se souciait énormément de son apparence semble désormais bien loin derrière. Elle a d'autres problèmes à gérer qu'une stupide mèche qui s'échapperait d'un stupide chignon ou quoique ce soit. Les clefs, le portable. Elle rallume l'écran de ce dernier pour se rappeler du lieu de rendez-vous. Mais un autre message attire son attention, lorsqu'elle remonte la conversation du bout du pouce. Roméo a cherché à l'appeler il y a quelques jours? Il aurait même laisser un message.

Elle appelle donc son répondeur pour l'écouter, tout en marchant en direction du parc. Il date déjà de quelques jours.. Mince, si seulement elle l'avait vu. Mais elle était trop occupée à s'apitoyer sur son sort. Pathérique.

Soudain, la voix de Roméo se met à parler au bout du fil. Ce qu'il dit n'est pas trop compréhensible comme il a l'air de s'étouffer avec ses larmes et cela noue la gorge de Sylnodel. Elle n'était même pas là pour lui.. Elle a une soudaine envie de le serrer si fort dans ses bras, si fort qu'il en aurait du mal à respirer. Elle raccroche hâtivement et met le téléphone dans sa poche arrière avant de commencer à courir. Où est-il? Elle court de plus en plus vite, manque de tomber plusieurs fois mais n'arrête pourtant pas. Elle voit déjà l'entrée du parc, il ne doit pas être loin. Elle s'arrête un instant pour scruter les environs du regards, à la recherche d'une silhouette familière. Il y a bien quelqu'un mais.. on ne dirait pas Roméo. A première vue, seulement car pourtant, il s'agit bien de lui. Sylnodel reprend sa course et se jette littéralement sur lui, l'enlace de toutes ses forces, avec un peu de retenue cependant car l'adrénaline a une mauvaise influence sur son pouvoir. Des larmes lui montent quasi instantanément aux yeux.

▬ Roméo, je suis désolée, vraiment désolée.. Elle enfouit son visage contre le torse de son meilleur ami. J'aurai dû t'appeler, squatter chez toi, je sais pas.. Tu me manques. C'est de ma faute, pardon..

Elle comprendrait qu'il ne lui pardonne pas car elle n'y arrive pas non plus. Elle a l’impression d'avoir fait subir à Roméo ce qui la hante elle-même et cette pensée lui est insupportable.

Roméo desserre son étreinte pour la regarder et elle regrette qu'il l'ait fait car ça l'oblige à le regarder dans les yeux, chose difficile à faire lorsque vos paupières sont alourdies par la culpabilité et vous forcent à regarder le sol. Et puis maintenant, il peut la voir pleurer. Elle s'en veut d'être aussi émotive mais en même temps, n'a encore jamais réussi à s'en empêcher.

▬ Mais...Syl' ! Pleure pas... J'suis là ok...enfin on est là tout les deux maintenant et je t'en veux pas j'te jure...Moi aussi j'aurais pu venir te voir et tout...j'ai été pas mal occupé ces derniers temps enfait...et...bordel Syl' j'ai fait une putain de connerie...

La dernière phrase la refroidit immédiatement et elle se met à avoir peur. Qu'est-ce-qu'il va lui annoncer? Elle n'a vu cette scène que trop de fois, déjà. "Il faut qu'on parle" ou "j'ai quelque chose d'important à te dire" souvent suivis de pleurs, de colère ou même de désespoir. Cela lui était arrivé plein de fois. Elle entendait presque la voix d'Alex dire: "je suis désolé, Sylnodel, on va plus pouvoir se voir" ou même celle de Tsume qui répétait, en boucle, sans jamais se lasser: "j'ai replongé, t'y es pour rien". Parce que justement, dans la plupart de ces cas, elle n'y était pour rien et surtout, elle n'y pouvait rien, spectatrice de son propre cauchemar. Alors oui, là, elle redoutait plus que jamais les mots qui allaient suivre. Ils ne furent pourtant pas les pires.

▬ Tu sais que tu peux venir quand tu veux chez moi...surtout que...en ce moment c'est pas la forme et..toi aussi on dirait que t'as besoin de soutien un peu...T'es pas comme d'habitude.

Sylnodel laissa échapper un léger ricanement, doux mais amer à la fois. D'habitude, hein.. Non, d'aussi loin qu'elle se souvenait, elle avait toujours été pitoyable. Mais elle ne se sentait pas d'ennuyer Roméo avec ça alors qu'il venait plus ou moins de lui annoncer qu'il était dans le pétrin.

▬ Je voulais pas déranger, je.. Je te raconterai. Elle fait un geste de la main, comme pour écarter le sujet et passer à autre chose. Qu'est-ce-qu'il se passe, Roméo?

Son coeur se met à battre de plus en plus vite. Pour que Roméo jure ainsi, il devait se passer quelque chose d'assez grave.
Soudain, le vent tourna et lui envoya l'odeur de Roméo en plein visage, ce qui la fit froncer les sourcils. Son odeur a changé. Elle le saurait même si elle ne l'avait pas vu depuis 3 ans. Ça sentait la fumée. Beaucoup. Et maintenant qu'elle le regardait de plus près, il semblait avoir perdu du poids.. Elle souleva précipitamment son tee-shirt pour en avoir le cœur net. Elle avait raison. Elle rabattit le tee-shirt. Tous ces détails l’inquiétaient de plus en plus. Elle essuya ses larmes. Fini les pleurs, elle le regardait d'un air grave. Le fait de se soucier de lui permettait à Sylnodel d'oublier sa propre stupidité. Il lui fallait des explications. Maintenant.

▬ Pardon, je t'écoute. Dis moi.

▬ C'est...rien...j'ai juste louper quelques repas. Mais je vais manger...c'est...

Sylnodel ne dit rien, elle pense que ce n'est pas le bon moment pour et qu'elle s'occupera de ça plus tard. D'abord la connerie puis la nourriture. Elle viendra tous les jours chez Roméo s'assurer qu'il mange correctement s'il faut mais elle ne le laissera pas tomber dans l'anorexie, ça c'était sûr.

▬ Je sais pas si toi t'as des nouvelles de Tsume. Moi pas. Ca me bouffe, tu le sais. J'en peux plus de pas l'avoir parce que je l'aime comme un timbré, ça aussi tu le sais. J'crois que tout le monde est au courant d'ailleurs. Je l'attends, je l'attends tout le temps... Non, Sylnodel n'avait aucune nouvelle de Tsume non plus. Et elle aussi ça la bouffait de l'intérieur. Alors elle comprenait parfaitement ce que son meilleur ami pouvait ressentir et était désolée qu'il en fût ainsi. D'un certain côté, elle aurait aimé que Roméo et sa sœur ne se soient jamais rencontrés car il n'aurait pas eût à souffrir mais d'un autre.. elle savait que malgré tout, il avait été important pour elle, qu'il lui avait même peut-être sauvé la vie au moment où Sylnodel en avait été incapable. Et puis elle savait aussi que malgré tout ce que Roméo avait souffert, il n'échangerait jamais ces moments passés avec la fille qu'il aimait. C'était ça la maladie de l'amour.

▬ J'sais pas si tu connais une Lexy, elle est à l'internat. C'est une fille vraiment sympa et...elle paraissait aussi paumée que moi quand je suis arrivé ici alors j'ai voulu l'aider un peu. Pour qu'elle comprenne son côté animal et qu'elle s'accepte...Bien sur j'ai pas du tout vu qu'elle commençait à s'attacher à moi, j'suis aveugle.  Bref...Elle me l'as dit, je lui ai dit que j'aimais Tsume. Que y a qu'elle, que j'ai toujours eu seulement elle. Que c'était la seule...'fin tu connais mon discours. Puis quand elle est revenu s'excuser chez moi...je sais pas...elle... Elle m'as embrassée Syl' et j'ai...J'ai pas pu la repousser.

Sylnodel relève le regard vers lui. Lexy, ce prénom lui disait vaguement quelque chose. Elle était presque certaine de l'avoir vue chez Ken et Nel. Une amie de cette dernière, très probablement. Le regard azur de l'Aerin délaissée se balade sur le visage de l'amoureux transi. Alors c'était ça, sa grosse connerie.

▬ Écoute, Roméo..
▬ T..Tu vois...c'était..pas pour elle...je...j..j'voulais juste ce contact..j'me sens tellement seul que j'ai voulu..ressentir ça. Le fait d'être avec quelqu'un qu'on aime et qui t'aime...Et j'ai...oublié Tsume pendant deux secondes...et je m'en veux tellement, ça me ronge j'arrive pas a bouffer, je veux plus rien faire parce que j'ai...été égoïste...tellement égoïste...C'est pas moi...Enfin...peut être que si du coup.

Sylnodel pose sa main sur la joue de Roméo et essuie du revers du pouce les larmes qui menacent d'y couler. Un faible sourire illumine un instant son visage. Finalement, il est toujours le bisounours qu'elle a connu. Un peu brisé mais toujours présent, sous cette armure d'os.


▬ Tu..peux me détester...mais..j'ai personne à part toi...
▬ Je vois pas pourquoi je te détesterai Roméo. Vraiment pas. Si tu t'en veux parce que tu as oublié Tsume.. arrête ça tout de suite. Parce que c'est totalement normal, c'est même quelque chose de bien. Ça veut dire que tu commences à aller de l'avant. Et je suis contente pour toi. Alors arrête de pleurer. Elle ouvre les bras d'un air encourageant pour inviter Roméo à s'y réfugier. Tant que tu ne te sers pas de cette Lexy pour aller mieux et que tu es honnête avec elle, tu n'as rien fait de mal, d'accord?

▬ T'y...crois pas toi aussi...en nous...J'ai l'impression d'être le seul a y croire enfait ! Le seul, Tsume aussi...des fois quand elle revient mais elle le montre pas vraiment actuellement. Pourquoi...pourquoi j'abandonnerai alors que je l'aime ? Elle m'as pas dit qu'elle voulait plus de moi en partant Syl'. Elle m'as jamais dit ça. J'suis rien sans elle.

Elle le regarde, attentivement. Un mélange de tristesse et de lassitude. Post-abandon, stage un: le déni. Elle a un petit rire sec mais dénué de toute méchanceté, plutôt comme si elle riait d'elle-même car elle ne connait que trop bien ce que Roméo est en train de vivre. Et depuis, elle en avait appris des choses.

▬ Bah justement j'en ai aucune idée de si..je me sers d'elle pour aller mieux...peut être un peu...et c'est absolument dégueulasse. Je veux pas être ça. Tout vas mieux quand elle est là ! Pourquoi elle l'est jamais ? Pourquoi elle nous laisse comme ça ?

▬ Crois moi. Quand les gens te veulent dans leur vie, ils restent. Sinon, ils s'en vont.

Et on n'a d'autre choix que de rester derrière, à regarder le dos de quelqu'un qui ne se retournera plus, un sourire aux lèvres, pour vous tendre la main ni vous accorder un regard. Triste réalité pour l'instant inconnue de Roméo. Elle n'avait cependant jamais pensé qu'il resterait dans le déni aussi longtemps. Cela ne pouvait forcément pas être bien pour lui. Elle se demande un instant s'il va ignorer son câlin mais il s'y abandonne finalement. Tant mieux: ils en ont autant besoin l'un que l'autre.

▬ J'suis paumé Syl'...complètement paumé.

Elle soupire car elle ne sait que trop bien ce qu'il se passe actuellement dans la tête de Roméo. Elle sait chacune de ses pensées, chacune des choses qui entortillent son cœur malade. Parce que tout ça, elle l'a vécu et à plusieurs reprises. Elle frotte doucement le dos de son ami, trouvant un réconfort certain dans la proximité de ce corps penché sur elle. A quel point il lui avait manqué, seul Dieu le savait mais ce qui était sûr c'est que même si leur séparation n'avait pas été longue, elle avait été douloureuse. On ne devrait jamais oublier ses proches sans raison valable. Car quand la vie vous met par-terre, il n'y a que pour vous ramasser.

▬ Je sais, je sais.. Elle ajoute, à demi-mot: Moi aussi.

Sylnodel passe sa main dans les cheveux de son ami, sourit légèrement lorsque le bout de ses doigts frôlent ces oreilles d'ours si familières. Elle avait toujours trouvé que c'était un animal qui n'allait pas à Roméo. Il était beaucoup trop doux, beaucoup trop fragile pour être un ours. Mais finalement, elle avait changé d'avis. Un ours, c'est réconfortant ou effrayant. C'est imposant mais en même temps adorable. Une sorte de paradoxe vivant qui représentait finalement bien son meilleur ami. Car malgré sa douceur et son innocence, Sylnodel le voyait bien. Roméo se brisait. Et elle devait se hâter d'en sauver les morceaux. De les faire tenir. Si même lui lâchait, si même sa joie de vivre disparaissait totalement..

▬ Mais même si elle t'aimait, Roméo, il faudrait que tu t'en défasses. Parce que même si elle revient, elle finira par repartir et par te laisser misérable. Tu peux pas vivre comme ça. On peut pas vivre comme ça.

Elle pose son front contre le torse de Roméo, se concentre sur son rythme cardiaque. Il est là, il est vivant. Elle en veut un peu à sa sœur de les laisser comme ça. Non, en fait, elle lui en veut peut-être même plus de revenir. Parce qu'avec Tsume, on ne sait jamais si elle est partie pour de bon, on s'accroche toujours à ce petit espoir qu'elle va revenir mais ça nous ronge et ça nous tue. Parce que oui, elle revient. Et on se reconstruit. Mais à chaque fois qu'elle s'en va, elle nous détruit encore plus que la fois précédente. Et à force, c'est usant. Beaucoup trop dur à porter émotionnellement. C'est triste à dire mais parfois Sylnodel préférerait qu'elle ne revienne jamais pour pouvoir faire son deuil et en finir. Vivre de nouveau. Mais elle ne peut pas. Et elle ne veut pas que Roméo fasse de même.

Vraiment, si elle pouvait, Sylnodel se servirait de son propre corps comme bouclier et protégerait Roméo de toutes les impuretés du monde. Elle se sent responsable de ce que Tsume lui fait subir et même si la logique lui souffle que ce n'est pas de sa faute, elle ne peut s'empêcher de s'en vouloir. Puis, elle sent les légers soubresauts que fait le corps de quelqu'un qui pleure mais ne dit rien. Il faut bien que ça sorte un jour.

▬ Mais tu crois qu'on peut faire autrement ?

Une question que s'est beaucoup posée Sylnodel, à vrai dire. Elle a eût beau chercher, encore et encore, inlassablement, elle n'y a toujours pas trouvé de réponse. C'est pas si simple. Elle aimerait, peut-être même un peu trop mais ne peut totalement s'y résigner. Elle aurait l'impression d'abandonner sa sœur de la même façon qu'elle a été abandonnée par ses parents. Et si elle faisait ça, elle ne pourrait plus blâmer personne puisqu'elle serait coupable de la même chose. Pourtant, là tout de suite, ce n'est pas ça qu'elle a envie de dire à Roméo. Elle voudrait lui dire que tout va bien se passer, qu'elle va rester avec lui et qu'à deux, ils pourront faire face à tout. Mais elle n'a pas envie de paraître faussement enthousiaste. Car elle ne l'est pas. A vrai dire, elle aimerait faire beaucoup pour Roméo mais elle a peur que le poids de sa peine l'écrase alors qu'elle a déjà du mal à tenir debout. D'un autre côté, elle ferait tout pour lui..

▬ Parce que moi...je pourrais pas..Je peux pas rester aussi seul. C'est...pas bon pour moi la solitude. Mais je peux pas l'oublier comme ça..en me disant que c'est simplement de sa faute parce qu'elle revient pas.

Seul, hein? Il s'éloigne, essuie discrètement ses larmes sans pour autant chercher à se cacher. C'est quelque chose que Sylnodel apprécie particulièrement chez lui. Il est sensible, il le sait mais ne cherche pas spécialement à s'en cacher. Ce n'est pas un complexe. Car oui, les garçons pleurent et les filles se battent aussi. On est tous fait pareils.

▬ On.. se fait une pizza chez moi ce soir ?

Elle relève la tête vers lui et le petit sourire qu'il lui adresse lui fait l'effet d'un rayon de soleil, d'une bouffée d'air pur. Elle en avait besoin. Et elle est toujours partante pour une pizza. Celles-ci sont meilleures partagées, de toute façon. C'est bien connu.

▬ Ça me va. On va purger notre solitude à deux. Par contre, va pas falloir se plaindre de mes élans d'affection, je t'aurai prévenu! Elle rit légèrement avant de reprendre son sérieux. L'oublier.. Il n'est pas question de ça. Je te demande pas forcément de l'oublier mais juste.. de ne pas l'attendre pour continuer à vivre. Et je t'en voudrais jamais pour ça. T'en fais pas. Même si j'ai pas été très présente ces derniers temps.. tu comptes toujours beaucoup. Énormément, même. Ça, ne l'oublie pas.

De nouveau, Sylnodel contemple sa main dans celle de Roméo. Celles du jeune hommes ont l'air plus abîmées qu'avant. On dit souvent qu'on peut juger de la vie d'une personne par l'aspect de leurs mains. Si elles sont négligées, fortes ou douces.. mais Sly ne saurait que penser de celles de son meilleur ami. Elle sait juste qu'elles ont changé et qu'elle trouve ça un peu triste. Pauvre Roméo.

▬ Tu compte aussi beaucoup pour moi. T'es la sœur que j'ai jamais eu. Ma première famille.

Elle sert imperceptiblement les dents. Vraiment.. Il cherche à la réconforter ou à la faire pleurer? Elle ne sait même plus. Pour Sylnodel, la famille, c'est quelque chose de sacré. Abandonnée par la sienne, elle a vite compris que le sang ne suffisait pas à lier les êtres, du moins pas comme le faisait le cœur. De savoir la façon dont Roméo la voit la réchauffe intérieurement mais aussi lui noue le ventre. Elle voudrait tellement le mériter, pouvoir être là pour lui comme elle l'a été, un jour. Elle n'en revient pas de l'avoir délaissé comme ça. Aucun mot ne suffirait à exprimer à quel point elle est désolée aussi garde-t-elle le silence.

▬ On prend comme d'habitude ?

Sylnodel sourit à Roméo de manière la plus sincère possible, comme elle ne l'a pas fait depuis longtemps pour qui que ce soit. Elle dégage lentement sa main de l'étreinte de celle de Roméo et lui plante un baiser sur la joue. Se morfondre dans son coin, c'est inutile. C'est pas comme ça qu'on se sent mieux. Surtout quand on est comme Sly et qu'on a besoin du bonheur des autres pour être heureux. Alors elle allait faire de son mieux pour rendre Roméo heureux.

▬ Le double! On y va? Ooh, je sens qu'on a plein de trucs à se dire. Il faut rattraper le temps perdu. Je compte te garder éveillé jusqu'à 6h du matin.

Elle s'interrompt un instant. Peut-être.. trop d'enthousiasme d'un coup. Il ne faudrait pas brusquer les choses.

▬ Enfin, si t'es d'accord..