Je croise les bras, mon livre caché derrière ceux-ci. Mon regard est de glace, ma voix l'imite, tandis que celle de la bibliothécaire s'élève :

« Je ne veux plus que tu m'empruntes de livre ! Repose ça !

Je hausse les sourcils, peu convaincue, et incline un peu la tête, mon expression se faisant plus innocente.

« Et pourquoi cela mamie ?

Elle soupire, tâchant de contenir sa rage, et se met à beugler que j'ai déjà volé plusieurs livres et qu'elle refuse de m'en donner d'autres tant qu'elle ne les aura pas récupérés. J'estime que c'est injuste. D'accord, j'en ai volé un. Ou peut-être deux. Oui, je pencherais plutôt pour deux, à vrai dire. Mais ce n'est peut-être même pas de ceux-ci dont elle parle, alors j'estime qu'elle m'accuse à tort ; enfin c'est surtout que je suis de mauvaise humeur, donc je réponds.

« Ah. D'accord, merci de m'avoir accordé tout ce temps et...--

Elle agrippe mon épaule alors que j'essayais de passer pour sortir, le livre entre les bras. Elle avait qu'à pas m'emmerder.

« Assieds-toi là ! Et tu restes ici tant que tu n'auras pas au moins admit que tu as ces livres !

Je soupire, m'assieds là où elle m'a désigné ma place, simplement pour lui donner l'impression qu'elle a gagné. Je me mets alors à la fixer, furieuse, mais me tais. Elle est nulle. Elle n'a même pas parlé d'heures de colle, ni rien... enfin je devrais me calmer sinon ça va vite venir.

« Ma pauvre fille, si seulement tu avais appris les bonnes manières au lieu de traîner sur les trottoirs...

Sa remarque ne me surprend pas. Les choses s'apprennent vite, ici, et je suis dans cet internat depuis plus d'un an, c'est normal qu'elle sache d'où je viens.
Mais ce n'est pas pour autant que cette phrase est admissible.

Alors reprennent les cris, les menaces et les accusations, mélangeant à la fois le respect de la vie des autres et les valeurs des livres empruntés à la bibliothèque.
   

Une autre femme arrive dans la bibliothèque, alors que je pose un regard assassin sur elle ; elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. Elle a une tête de prof. On reconnaît les profs, ici. Ils ont l'air... ennuyés et ennuyants. Un débat s'engage avec l'autre vieille peau, et je me contente de soupirer en roulant des yeux, peu encline à poursuivre la conversation bien longtemps maintenant que madame ma sauveuse est arrivée.

« Mademoiselle, vous ne connaissez pas Mademoiselle Doubrovski. Je sais qu'elle m'a volé ces livres ! Et j'en suis certaine !

L'autre se tourne vers moi et fronce les sourcils, attendant une explication, comme si j'avais des comptes à lui rendre. Bon, c'est vrai, j'en ai, mais je n'ai pas envie de m'exécuter.

« Quoi ?

Un sec, froid et brutal "quoi". Elle est nouvelle. Je ne l'ai pas souvent vue à l'internat, peut-être une ou deux fois. Donnons-lui une chance, la pauvre, elle ne sait pas à quelle vieille peau et quelle petite garce elle a affaire - je suis cependant ravie de jouer le rôle de la petite garce.

Je me lève, laisse tomber avec négligence les livres sur la chaise (ce qui provoque chez la vieille un petit couinement réprimé) et écarte légèrement les bras en me plantant devant les deux femmes.

« Je suis censée jouer les victimes qui culpabilisent ? Je le ferai pas. Je vous ai dit que j'avais pas ces livres, je vais pas le répéter pour le gentil prof qui est venu me porter secours.

Je croise les bras, regarde la-dite prof.

« D'ailleurs, vous êtes qui ici ?