Cette question l’arracha à l’histoire qu’elle lisait, qu’elle dévorait, encore et encore, au point que chaque tirade, chaque virgule de ce livre lui était connue. Ayant repris conscience du monde qui l’entourait, ses sens la tiraillèrent. Elle sentit le froid hivernal qui l’enveloppait, l’odeur de la neige fraichement tombée, et vit le charmant minois d’une fillette de son âge, qui semblait s’être décidée à rester planter devant elle, attendant sagement une réponse, plutôt que de venir la rejoindre sur le banc à ses côtés. La petite fille tremblait. Ses doigts bleuis et ses lèvres violettes étaient d’évidents signes qu’elle était frigorifiée. Pourtant, la méfiance naturelle de Swan lui dictait plutôt qu’elle tremblait de peur. Peur d’elle. Et cela même si, au contraire, les yeux de la jeune fille resplendissaient d’émerveillement.

« Oui. »

Sa réponse fut laconique. Quoi d’autre avait-elle à y ajouter ? Elle leva cependant un sourcil interrogateur. Son bonnet cachait stratégiquement ses oreilles si spéciales, preuves vivantes de sa « différence », comme l’appelle son père. Sa réponse, aussi brève qu’elle soit, plut manifestement à la demoiselle puisque son visage s’éclaira brusquement.

« J’aimerais tellement être comme toi ! »

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« Allez ! Défends-toi un peu ! 

- Ouais, montre-nous un bout de ta magie ! On sait que tu peux en faire ! »

Elle ne répondit rien, mais pourtant la réponse brûlait de sortir. Si seulement elle pouvait. Si seulement elle avait la moindre idée de ce donc elle était capable, ou sera un jour capable. Ou peut-être jamais ? Elle avait pourtant lu quelque part qu’elle aurait déjà du développer ses pouvoirs.

Alors qu’elle levait les yeux vers ses agresseurs, prête à déverser sur eux la rage contenue de ces derniers jours, l’un d’eux la gifla. La force qu’il mit dans le coup la fit tomber, déclenchant un rire idiot chez les spectateurs. Elle sentit les larmes monter, qu’elle essuya d’un geste sec avec sa manche. Dans les films, ce serait ce moment là que ses gènes se manifesteraient bruyamment pour la débarrasser des… parasites. Mais elle n’était pas dans un film. Et un coup de genou bien placé suffit pour que tout autour d’elle devienne totalement noir. Elle n’avait que 10 ans. Elle ne faisait tout simplement pas le poids.

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Elle peut entendre ses parents discuter. Ils la pensent endormie, et essaient à peine de chuchoter. Ils sont inquiets à son propos. Ça tombe bien, elle aussi. Quelque chose ne tourne pas rond, sans pour autant que quelqu’un arrive à mettre le doigt sur le problème. Dans sa tête, le problème était elle. Elle avait pourtant l’incroyable chance d’être dans une famille qui l’acceptait, plus ou moins selon les jours, mais définitivement plus que les autres, les gens normaux, les gens dehors, avec leur vie normale. Elle ne faisait, ne pensait, ne disait rien pouvant lui porter préjudice, pourtant la bêtise humaine l’emportait bien souvent.

Ce n’est cependant pas le débat du jour. Elle n’avait toujours pas montré le moindre signe de magie. Les spécialistes affirmaient qu’elle était encore jeune, et que tout n’était pas perdu. Personne dans cette maison n’en croyait un mot. L’idée d’être le monstre parmi les montres la terrifiait plus que tout. Elle se réveillait souvent la nuit, haletante et en sueur, ayant rêvé de toutes les horribles possibilités que cette perspective offrait. Souvent, la fille du parc enneigé, son principal souvenir de ses 7 ans, faisait d’étranges apparitions dans ces cauchemars, et revenait même souvent dans ses pensées. Ce simple souvenir suffisait parfois à lui réchauffer le cœur. Savoir que quelqu’un, sur cette planète, avait au moins un jour considérer la possibilité d’être un hybride sans être dégoûté à cette pensée avait quelque chose de réconfortant.

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Finalement, sa magie est apparue l’année dernière. Tout le monde s’attendait à de grandes explosions, et des panneaux partout pendant l’année qui suivait. Rien de tout ça. Personne n’était là pour assister à sa première manifestation, et quand la jeune fille l’annonça à ses parents en rentrant, un lourd silence tomba, et plus jamais le sujet ne fut évoqué. Vraiment, la vie n’avait rien d’une série américaine. Sa vie suivit son cours normal. Les hivers sont devenus pour elle un havre de paix, tandis que l’été lui rappelle ces douloureuses années d’impuissance.

Aujourd’hui, elle a treize ans. Et à tous les enfants pressés d’entamer leur treizième année, tout ce qu’elle a à leur affirmer, c’est que ça n’apporte rien de plus que d’avoir survécu 12 ans et 364 jours.

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Son regard, vide, se posa sur le corps, tout aussi vide de vie qu’elle l’était d’émotion. La mort n’a jamais été quelque chose pouvant la perturber. C’est la seule fin possible pour n’importe quelle forme de vie ; certains arrivent juste à cette fin plus rapidement que d’autres. Aussi n’a-t-elle pas l’habitude de pleurer aux enterrements. Mais cette fois-ci, tout lui semblait différent. Parce que le corps allongé là, devant elle, de son immobilité cadavérique, c’était sa mère. Et sa mère aimait profondément la vie. Swan ne pleura pas le fait qu’elle soit morte, elle pleura le fait qu’on ait pu retirer à cette personne la seule chose qu’elle aimait vraiment. Foutu cancer. Rien de concret, contre lequel il serait si facile de se venger ; pas de meurtrier à qui il serait si facile de rendre la pareille. Juste le cours naturel des choses. Inévitables.

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C’est si douloureux, cette incompréhension dans laquelle elle se sent enveloppé, étouffée comme s’il s’agissait d’un nuage de fumée. « Je t’ai inscrite dans un internat. Tu t’y sentiras comme chez toi. » Oh papa, pourquoi ? Tous deux ont souffert de ces années sans celle qui était à lui sa femme et à elle sa mère, mais manifestement tous ne pouvaient juste pas passer à autre chose. Certes, elle non plus n’a pas pu. Sa figure maternelle disparue, l’adolescente qu’elle était s’est réveillée, et peut-être est-elle moins fière de certains de ses actes que ce qu’elle voudrait bien admettre. Mais de là à ce que son père la renvoie ? Un décès, finalement, c’est facile pour le mort, et c’est seulement pour les vivants qu’une épreuve s’impose.

Swan est quelqu’un de profondément souriant. Sourire est devenu sa réponse à tout, y compris à la violence. Ce qui devrait être gage de bonheur est devenu chez elle son unique moyen de protection. Elle ne sait pas utiliser ses poings, et une biche n’est certainement pas l’animal le plus menaçant du monde. Mais de son point de vue, un magnifique sourire ironique associé à une pique bien placée est la meilleure arme qui soit. Même si toutes les expériences du monde auraient pu lui montrer le contraire, elle resterait bornée à ce mode de fonctionnement. D’une part car sa profonde gentillesse, qu’elle ne montre pourtant pas si souvent, l’empêcherait de réellement blesser quiconque, et d’autre part car c’est simplement tout ce qu’elle connaît, n’ayant jamais eu les moyens de se défendre quand il le fallait ou simplement parce qu’on peut rarement offrir une réponse physique aux vrais problèmes.

Cela dit, quand on sait que la plupart des élèves ici sont des problèmes ambulants, il est possible qu’elle décide de reconsidérer ce point de vue hmm.

En dehors de cette base qui détermine la majeure partie de ses interactions sociales, la demoiselle est profondément lunatique, et d’une minute à l’autre le fait qu’elle vous sourie peut autant être un témoignage d’amour qu’une invitation à aller gentiment vous faire enc…voir. De ce fait, il est assez difficile de la décrire précisément.

Mais de toute façon elle a des mèches bleues donc elle est trop cool, voilà, fin de l’histoire.